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"Democracy is a joke"

Il s’appelle Oxnnso, il a 24 ans et c’est un Oromo, éthnie vivant principalement en Ethiopie. Ils sont majoritaires à Calais, principalement des hommes, jeunes. Autour de lui se trouvent Abdel 14 ans, et Jabir Jeylan 18 ans. Leur apparence nous laisse pourtant croire qu’ils en avaient respectivement 18 et 25. Ils ne s’exprimeront pas au cours de notre rencontre qui se concentrera donc sur le parcours de Oxnnso - parcours semblable à tant d’autres. Lorsque nous nous approchons d’eux, Oxnnso se méfie. Il se demande ce qu’on fait ici et nous lance : « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Vous voulez entendre quoi ? ». Des journalistes, il y en a plein mais aucun n’apporte une solution à leur situation. On sent bien que nous ne sommes pas les bienvenus et c’est seulement après une dizaine de minutes que nous entamons une réelle discussion.


Il est à Calais depuis six mois mais cela fait maintenant deux ans qu’il a quitté son pays. Après être passé par la Hongrie et l’Allemagne, il s’est retrouvé à Calais. Ce n’est pas par envie, mais par nécessité. « La démocratie [en France] c’est un mensonge, une blague », nous dit-il les yeux dans le vide et une grappe de raisin distribuée par l’association SALAM à la main. Il rêve d’Angleterre. En attendant, il dort sous un pont à Calais qu’il nous pointe du doigt. Son regard est rempli de rancœur et de méfiance à cause du traitement qu’il reçoit par la police : frappé et menacé, il en vient à penser que la France ressemble à l’Ethiopie. Les forces de l’ordre ne le traitent pas comme un être humain. Il a la sensation d’être, depuis toujours, traité comme un coupable. Là-bas, ici, finalement c’est pareil, il n’est pas encore libre de penser, d’être. Il n’a plus l’air de croire en la paix intérieure qu’il recherche tant alors il va en Grande Bretagne, son dernier espoir. Sinon, il rentrera en Ethiopie et se fera tuer là-bas, par les militaires, car il ne compte pas se taire. D’après Oxnnso, l’Ethiopie - dirigée par Mulatu Teshome depuis 2013 - a mis en place un gouvernement tueur et assassin, une gouvernance par la force. Les études ? « Une usine à soldats et espions de l’Etat », nous dit-il. Lui était dans la pharmaceutique. Il aimait ça et était doué mais il ne pouvait pas poser de questions politiques sans risquer d’être tué. Il avait donc les études, l’argent (sa famille possédant commerces et terres), mais il lui manquait quelque chose : la dignité et la liberté.


A cet instant de notre rencontre, il prend sa tête dans ses mains et se rappelle à quel point il était tortueux de dormir lorsque son esprit n’était plus qu’une prison. Il préfère les sommeils en « paix » sous un pont, ponctués de coups de poings, plutôt que ceux qu’il a pu passer dans sa chambre éthiopienne, rythmés par les cauchemars liberticides. Cependant, la dictature continue de le hanter car son statut de migrant sans papier, c’est à elle qu’il le doit.


Aujourd’hui il ne peut pas espérer le statut de réfugié politique car, si jamais son passeport est recensé, son pays ne lui accordera pas le droit de sortie du territoire et sa famille sera menacée d’être tuée. La pression autour de l’entourage est monnaie courante. Néanmoins, son frère est en Grande-Bretagne, où il a apparemment (re)trouvé une dignité humaine, ce qui le pousse à y croire à son tour. Lorsqu’il s’exprime, il a parfois des excès d’émotions. Il s’emporte dans son discours et oublie que nous sommes là. Il se parle à lui même, il clame tout ce qu’il ressent puis il nous regarde et s’excuse : « je suis émotionnel » nous dit-il. Il a peur. Il est incertain et ne sait pas de quoi sera fait l’avenir mais il le répète, il souhaite juste la « liberté et la dignité ». Il insiste : « je suis un être humain innocent, je ne veux de mal à personne ». Il a souffert dans son pays et son voyage migratoire semble être à ses yeux la simple continuité de sa souffrance. Dans son pessimisme se dégage une assez grande simplicité : sa fatalité lui donne la force, il n’a plus rien à perdre. Alors, il continuera à dormir sous ce pont en attendant de sauter, lui aussi, dans un camion pour l’Angleterre. Le grand saut vers la liberté ?

Rencontre avec Yolaine Bernard, première vice-présidente de l'association SALAM

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