Là où les gens sourient
L’air est froid. En ce dimanche 26 novembre 2017, il creuse son lit dans les rues marchandes de Calais, dans ses rocades et s’installe en maître de la ville. Et pourtant, ce n’est pas ce froid piquant qui nous accueille à la Warehouse - traduisez « entrepôt » - mais Sylvain Desaturne, 34 ans, papa de deux enfants, coordinateur à l'association l'Auberge des migrants, une clope au bec et un grand sourire.
Ce grand entrepôt regroupe quatre associations, deux françaises l'Auberge des Migrants et Utopia 56 ainsi que deux britanniques Help Refugees et Refugee Community Kitchen. Ce sont toutes des associations citoyennes d’intérêt général et non pas d’intérêt public. La différence sémantique a son importance : bien qu’elles soient considérées comme relevant de l’intérêt général, les associations ne sont aucunement subventionnées à l’exception de l’Auberge des Migrants qui perçoit de maigres subventions du département du Pas-de-Calais dans le cadre de l’aide alimentaire (2 % des ressources 2017 de l'Auberge). Elles sont alors constamment à la recherche de dons (déductibles sur la feuille d’impôt), car la crise migratoire ne s’arrête pas et ce, malgré le démantèlement de la Jungle de Calais en octobre 2016.
Si le nombre de migrants à Calais est passé de 11 600 en 2016, lors du plus gros comptage réalisé par les associations, à 1 000 aujourd’hui, répartis sur les communes alentour, on ne passe tout de même pas de tout à rien. La fin de la Jungle a marqué la fin de l’hypermédiatisation de la zone et par conséquent la fin de la visibilité des migrants. Mais invisibles n’est pas synonyme d’inexistants. Cette opacité rend difficile la vie des bénévoles et leurs actions déjà entravées par la politique de la mairie de Natacha Bouchart (LR) et les violences des forces de l’ordre (gendarmes et CRS) accusées de comportements violents inadmissibles. Pour Sylvain ils représentent « un espoir que l’Etat veut pourrir ».
C’est que l’Etat craint « un appel d’air ». Pourtant, bien que la Warehouse nous soit présentée par Sylvain comme « la zone la plus souriante de Calais » il faut néanmoins se demander si son sourire - chaleureux on n’en doute pas - suffit à attirer des hommes de la rive voisine de la Méditerranée. Le travail, l’argent sont les topoï, tant des médias que des politiques quand il s’agit d’expliquer les flux migratoires du Sud vers le Nord. Ils ne constituent toutefois qu’un revers de la médaille. D’autres éléments sont à prendre en considération : les guerres, la recherche d’autres systèmes politiques… Ainsi la Warehouse ne représente pas une force centrifuge des flux migratoires. Elle est la réponse à un besoin.
La Warehouse est créée en septembre 2015, lorsque la Jungle existait encore, suite à la photo d’Alan Kurdi. La photo de cet enfant syrien échoué sur la plage avait fait le tour du monde. L’objectif est alors d’aider les migrants mais sans charité mal-placée. Des maraudes sont effectuées, c’est-à-dire des distributions d’objets de première nécessité : nourriture, vêtements et produits d’hygiène. On construit des cabanes et on fait de la prévention, notamment concernant les incendies, ce qui leur a valu l’admiration des pompiers.
Les débuts sont anarchiques. Différentes communautés, différents besoins, différentes associations. Finalement on s’organise : en choisissant des représentants dans chaque communauté chargés de s’exprimer pour le groupe, la distribution se trouve plus précise, ciblée et l’action plus efficace.
La fin de la Jungle a fait évoluer le champ d’action des associations. Elle a sonné le départ de nombreux volontaires et la raréfaction des dons grâce auxquels fonctionne l’entrepôt. Cela n’empêche pas la machine de tourner. L’Auberge des Migrants a lancé en décembre dernier son « Good Vibes Calais Info Bus » qui, équipé d’un générateur et d’une borne Wi-Fi, arpente les rues de la ville dans le but d’informer les migrants sur leurs droits ainsi que de leur fournir un accès internet. La Refugee Community Kitchen, dirigée par le chef londonien du moment, ne se contente pas de servir 2750 repas chaque jour avec une soupe tous les midi et son célèbre CRS (Curry-Riz-Salade) au souper. Les volontaires discutent avec les migrants, on prend le temps.
C’est en cela que la Warehouse se singularise : son humanité.
Parmi la centaine de bénévoles présents chaque jour, ce n’est pas de l’abattement que l’on ressent. Il fait froid dans l’entrepôt mais l’ambiance est chaleureuse. Dans la cuisine, entre les grosses marmites et les effluves, la musique résonne. Deux filles lâchent leur couteau pour danser main dans la main. Ça court dans l’entrepôt avec les diables entre les rangées de vêtements et de couvertures. On rigole. On me propose un café pour me réchauffer et une fois notre visite achevée, Sylvain nous propose de nous ramener en ville puis d’aller boire un verre. Artiste, il nous expose son projet de floquer « Chance » sur 700 t-shirts qui seront distribués aux migrants tout simplement parce que c’est un message positif.
Alors engourdis, fatigués, frigorifiés, tandis que nous rêvions d’un bon repas chaud, de nos lits et de repos, nous sommes repartis le cœur gonflé de cette bienveillance, un album de Sylvain à la main.