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Les rattrapages des bacs 2017 (3/3)

Troisième et dernière partie de ce top : les dix meilleurs albums de l'an 2017 ! Du conceptuel, de la trap, de l'americana, de la folk, de l'indie, du jazz... En espérant que ce défrichage musical vous aura bel et bien donné du baume au coeur, et que comme nous, vous serez tombés amoureux de quelques unes de ces pochettes incroyables.

10. Richard Dawson – Peasant

The Quietus, webzine musical indépendant engagé et fan des projets les plus perchés, a placé cet album-ci tout en haut de son top de l'année. Ce qui n'est pas rien quand on n'est pas trop branché musique de majors. Qu'a-t-il fait pour mériter tous ces honneurs le Richard ? Il fait de la folk, tout d'abord, de la freak folk, je dirais même. Comprenez bien que Peasant, ce n'est pas une écoute que vous oublierez de sitôt. Il raconte l'histoire d'un temps moyenâgeux perdu à travers les voix de différentes âmes damnées (héraut, prostituée, scientifique...). Le songwriting, même s'il contient un vocabulaire anglais soutenu, est sublime quand on se penche sérieusement dessus. De sa voix de chantre protéiforme, Dawson nous dépeint un monde froid et noir dans le corps de gens chauds et simple(t)s. Le plus divin dans cet objet unique, c'est le fait que la présence de chacun des éléments de la riche instrumentation ajoute une strate, une nuance à la complexité de ce monde. Du jeu de guitare à la fois libre et âpre de Dawson aux cors de chasse timides, de l'ambient entre murmure et bredouillage aux chœurs terrassants de Weaver.


9. Denzel Curry – 13 (EP)

Denzel Curry a digéré la trap. Il l'a mâchée avec soin, l'a savourée et l'a recrachée. Aujourd'hui, il sort 13, à la pochette si singulière, 5 bangers comme on n'en verra pas d'autres cette année. Ça commence gentiment avec Bloodshed, on perçoit déjà la maestria et la violence du flow ainsi que les sonorités inédites, mais qui paraissent pourtant si naturelles, qu'il incorpore dans son art. 2 minutes d'un Hate Government qui porte bien son nom et c'est le déluge. Equalizer, Heartless, Zeltron 6 Billion. Cet enchaînement de titre est ravageur, unique, méchant, Denzel enchaîne les punchlines egotrip à une vitesse folle et se permet même de gober tout cru un Lil Ugly Mane, ce qui n'est pas rien, qui lui avait gentiment fait la faveur de lui accorder un featuring sur son petit EP.

8. Impossible Nothing – Tonemenomicon

En voilà un autre concept bien pourri. 26 chansons de 10 minutes, une pour chaque lettre de l'alphabet. Ce mystérieux Impossible Nothing en aura sorti six en moins de deux ans des comme ça, dont quatre en 2017. Tonemenomicon est le meilleur que j'aie écouté mais je vous laisse choisir le titre ou la pochette qui vous intrigue le plus, ce sera toujours du grand art. De l'art de découper les musiques pour en extraire les sonorités les plus marquantes, de multiplier les samples comme des petits pains, d'agencer des dizaines d'éléments sans jamais faire de boucle et tenir 10 minutes de mix cohérent. Malgré son concept en apparence bordélique, Impossible Nothing a un don : chaque morceau recèle deux ou trois idées de mixage qui vous feront vous demander si cette chose que vous écoutez est bien réelle et plausible, sachant que chaque opus représente déjà 4h20 à rester les yeux écarquillés, comme sous coke, à voir le groove sortir du chaos.

7. Pinegrove – Elsewhere (Live)

L'americana est un genre vague de musique contemporaine qui utilise un large spectre d'influences dans les musiques venues des USA, rock, folk, country etc. Pinegrove vient du New Jersey et tape dans l'indie rock/alt. country. Leur album Cardinal a été suivi d'une tournée de plus de 200 dates aux États-Unis et un peu en Europe aussi. Début 2017, ils lâchent à prix libre sur leur page Bandcamp cette réécriture live de Cardinal, intitulée Elsewhere, dans le seul but de remercier les personnes qu'ils ont croisées. La musique de Pinegrove est empreinte de cette sincérité : le songwriting d'Evan Stephens Hall est gentiment torturé à l'image de sa musique. Des lignes comme « I saw Leah on the bus a few months ago, I saw some old friends at her funeral », dans un superbe titre appelé Old Friends, sont portées par des mélodies, des harmonies, des structures de chansons inventives au possible, et c'est impossible à définir. Cela donne juste chaud au cœur. Et on espère que la victime d'Evan de pression sexuelle obtiendra réparation.

6. Brockhampton – Saturation I, II & III

Voici la seule et unique sensation populaire que je retiendrai de 2017. Le collectif Brockhampton aura bousculé le monde du hip-hop, son public, son style et son attitude. Le meilleur boysband depuis One Direction – c'est l'imprévisible frontman Kevin Abstract lui-même qui l'a dit sur le banger Boogie – aura sorti trois albums sous le projet Saturation cette année et l'immense qualité de leur hip-hop alternatif, alliée à cette productivité, est absolument bluffante. Engagé dans les causes noire et homosexuelle, Brockhampton et ses quatorze membres ont développé avec la trilogie Saturation une démarche avant-gardiste : la manière dont ils mixent, leur science du refrain innée, très R'n'B, et un hip-hop expérimental, glitchy, éclaté, furieux, semble si limpide, si simple. Saturation I est davantage pop, le II est plus rap et expérimental et le troisième se situe juste entre les deux. Dans les trois pourtant, chaque morceau s'inscrit dans nos crânes de manière instantanée, pour nous faire danser comme des déments, comme ces petits hommes bleus. Gummy est sur le podium des meilleures chansons de l'année, mais on aurait pu prendre Heat, Face, Zipper, Stupid et bien d'autres.

5. The Necks – Unfold

Le trio australien de jazz d'avant-garde/musique minimaliste The Necks a dévoilé avec Unfold un concept qui pourrait surprendre selon votre manière de consommer la musique : si vous usez le mode aléatoire sur Spotify, un concept d'album sans ordre dans la tracklist, afin que l'auditeur participe à l'écoute en la formant lui-même, ne doit pas vous faire sourciller plus que de raison. The Necks n'a pas l'approche de la musique la plus accessible. La plupart de leurs albums font plus d'une heure et ne possèdent qu'un seul morceau, longue et lente variation sur un même thème mystique portée par des instrumentistes d'exception, au piano, à l'orgue Hammond, aux percussions diverses, à la basse ou même à la guitare électrique. En cela, Unfold est probablement l'opus le plus accessible du groupe. Quatre morceaux, entre 15 et 20 minutes, monolithiques mais gorgés d'ambiances différentes. Entre inquiétude et douceur, les inlassables sonorités des instruments glissent dans nos tympans pour former, à l'usure, des paysages immenses et grandioses, dans lesquels on se sent tantôt traqués tantôt bienheureux mais toujours minuscules.

4. Mount Eerie – A Crow Looked At Me


De Phil Elverum, figure phare de la scène indie folk (expérimentale) américaine, vous connaissez peut-être The Glow, Part 2 de son ancien projet The Microphones et sa pochette emblématique. Il a toujours été écorché comme auteur-compositeur-interprète. Mais cet album est particulier. Ne l'écoutez pas sans connaître le contexte et si vous ne comprenez pas l'anglais, cela n'aurait pas de sens. Le 9 juillet 2016, Geneviève Castrée, la femme de Phil, est morte après de longs mois à combattre le cancer, en le laissant seul avec leur petite fille. Sur A Crow Looked At Me, Phil lâche ses pensées les plus dures après ce drame, sur ce quotidien où le fantôme de sa compagne est partout puis qu'il voit s'effacer, dévasté. La lumière est quasiment absente, l'instrumentation aussi, juste un peu de guitare lo-fi. Seuls ses quelques mots sur sa fille nous convainquent un petit peu de son désir de continuer à vivre. « Death is real. »

3. Various Artists – Outro Tempo: Electronic and Contemporary Music from Brazil (1978-1992)

La musique brésilienne ne peut pas se résumer à la samba et la bossanova. Sa triple influence américaine, portugaise/européenne et africaine lui procure une forte singularité et une grande richesse, un spectre de genres très éclaté. Cette compilation du label néerlandais Music from Memory rend ses lettres de noblesse aux travaux de groupes du dernier quart du XXème siècle qui ont réapproprié les codes de la musique électronique, des synthés eighties aux débuts du minimalisme et de l'ambient, à l'identité musicale brésilienne. Quelle inspiration éclairée que cette pochette où l'on scrute un bateau peint de manière figurative sur un fond classique (ou peut-être est-ce une photo) de la forêt amazonienne, je suppose. Cela résume parfaitement toute la dualité de cette musique, entre les possibilités de la modernité technique et la spiritualité de leur héritage musical. Reflet d'une société, non pas duale donc, mais nuancée, cette sélection où apparaissent des artistes comme Os Mulheres Negras et Priscilla Ernel est indispensable : découvrir cette scène méconnue nourrit votre vision de la musique (et même très directement de toute une société), entre folklore et « progrès » qui est un mot bien laid quand on parle d'art, comme peu d'objet musicaux savent le faire.


2. Ellen Arkbro – For Organ and Brass

La compositrice suédoise Ellen Arkbro, c'est le genre de fille à présenter un truc de 26 heures au Stockholm Concert Hall. Ellen a écrit For Organ and Brass sur des bases musicales de la Renaissance en exploitant des micro-intervalles (proches de celles du blues dit-elle, en fait ce serait juste du blues ralenti) que seul un type spécifique d'orgue pouvait produire. Et elle a fini par trouver son bonheur dans l'église Saint-Stéphane de Tangermünde au Nord-Est de l'Allemagne, sous la forme d'un orgue Sherer-Orgel de 1624. Tout dans la simplicité. En résultent trois morceaux minimalistes aux accents drones car composés de notes soutenues d'orgue et de trois cuivres, un tuba, un trombone et une corne. For Organ and Brass, c'est le son qui pourrait m'annoncer béatement ma bénédiction avec complicité tout comme il pourrait habiller mes pires pressentiments. C'est une gamme d'émotions contenue dans quelques notes soutenues d'une pureté crasse, robustes et tremblotantes à la fois, solennelles mais extrêmement sensibles. La pudeur de ces notes simplement superposées donne à cette musique classique drone une force spirituelle qui n'aura été surpassée que par un seul projet cette année...

1. La Baracande – La Baracande 2 & 3

La Baracande est composé de quatre membres. Basile Brémaud est au chant et au violon, Guilhem Lacroux est à la guitare électrique. Ça paraît somme toute assez classique jusqu'ici. Mais Pierre Vincent-Fortunier est à la cornemuse béchonnet 11 pouces et au violon tandis que Yann Gourdon est à la vielle à roue, et à la boîte à bourdon. La Baracande est un concept sorti du très intéressant label francophone La Nòvia (j'ai cité La Tène dans les mentions honorables, ce groupe vient de ce label aussi), « lieu de réflexion et d'expérimentation autour des musiques traditionnelles et/ou expérimentales ». La Baracande interprète des chansons et contes ancestraux, du Moyen Âge principalement, autour d'un drone assourdissant, lancinant, avec des instruments traditionnels. Bien que le drone soit un courant/technique actuel, le son de La Baracande semble hors du temps. Les deux albums qu'ils ont sortis en 2017 (le 2 d'1h15 avec sept morceaux autour des 10 minutes, le 3 de 40 minutes avec deux morceaux autour des 20 minutes) sont, à mon avis, ce que vous trouverez de plus intemporel, organique et spirituel dans la cuvée de l'année dernière. L'album de l'eau, de la pierre, de l'herbe et du fer. Et de 2017.

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